Voici la préface du Rapport SFOALC 2003 sur le kératocône. Le Pr Yves Pouliquen introduit ce travail considérable mené sous la responsabilité du Dr Florence Malet.
Anne
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15 mai 2003
Est-il un sujet plus fascinant que celui qui concerne le développement et l'organisation de la cornée? Doutez-vous de ma réponse alors que vous savez que j'y ai consacré une bonne part de mes heures studieuses et que je vous confesse qu'il m'est plutôt agréable de trouver l'occasion, en ouvrant ce beau rapport, de renouer avec ce qui fut une vraie passion. Comment oublier en effet toutes les interrogations que pose le développement de l'œil quand bien même nos connaissances des maîtres gènes éclaireraient l'étonnante métamorphose de la cupule optique, l'implacable mise en place du cristallin et son étonnante induction sur la nature et la forme de la cornée. On en a surpris mille détails mais le mystère demeure presque entier. La cornée, elle-même apparemment si simple, n'est-elle pas un miracle par le seul fait qu'elle représente le plus beau tissu conjonctif dense que la nature ait voulu transparent? On connaît bien les étapes de son élaboration, le rôle du stroma primaire, feutrage initial entre l'épithélium et le mésothélium primitifs, dans le cheminement de ses futurs kératocytes migrant depuis la crête neurale en vagues successives et dont on ne sait si elles sont par nature identiques ou non. On en admire enfin l'architecture finale d'un stroma remarquable, figeant dans une matrice spécifique des fibrilles de collagène d'une étonnante homogénéité et disposées dans l'espace de telle sorte qu'elles n'absorbent guère les rayons qui le traversent; l'endothélium ayant acquis pendant ce temps le subtil pouvoir de réduire l'hydratation d'un système voué à durer toute une vie. Telle qu'elle est ainsi faite, elle se présentera comme un dioptre puissant aux courbures stables délivrant à l'œil des images souvent naturellement nettes ou plus ou moins améliorées par la présence devant elle ou sur elle d'un système correcteur.
Seul l'âge, une infection, une tare génétique, un accident, voire la chirurgie se réservent d'en altérer la belle transparence. Plus rares sont les causes qui en altèrent la forme, mais avouons que l'une d'entre elles nous fascine particulièrement celle qui conduit au développement d'un kératocône. J'avoue que si mon intérêt se fixa parfois sur la maladie de Terrien et le Kératoglobe, ce ne fut que pour les comparer à l'intrigant kératocône. Comment concevoir que chez, 50 à 230 individus sur 100 000 d'une population générale s'installent subrepticement une lente déformation conique de la cornée et un amincissement dont l'évolution sera infiniment variée d'un cas à l'autre, l'âge d'apparition extrêmement dispersé et le handicap affirmé diversement apprécié selon les moyens que nous lui opposerons?
Ce rapport n'a d'autre but que de répondre à ces questions, .dont on sait déjà que beaucoup d'entre elles n'y trouveront qu'une réponse bien partielle. Certes des familles répondent à un mode de transmission génétique, elles ne représentent que 6 à 8 % de l'ensemble des kératocônes qui majoritairement n'apparaissent que sporadiquement dans les familles. On cerne, ici et là, un chromosome responsable, on identifie des types HLA, mais la majorité des kératocônes échappe à une telle classification. Doit-on attacher de l'importance à cet apport de la topographie cornéenne qui reproduit les anomalies «pathognomoniques» du kératocône sans pour autant qu'il en existât le moindre signe cli nique? Ces formes infracliniques sont-elles le lit d'un kératocône futur ou ne sont-elles qu'une variété topographique qu'emprunterait le kératocône ? Sont-elles encore l'ébauche d'un programme interrompu que posséderaient les kératocytes de ces cornées? Car il n'est pas douteux désormais que les kératocytes du kératocône sont responsables (sous quelle influence ?) des modifications anatomiques de la cornée, marquées par son amincissement, la diminution du nombre de ses cellules stromales et la rupture de membrane de Bowman. Nous avions, avec Georges Lorens, été les premiers à démontrer que l'Interleukine 1 déclenchait toute une chaîne de réactions conduisant à l'altération de la nature du stroma par le biais des protéases. Depuis bon nombre d'hypothèses enzymatiques confirment ces vecteurs de l'amincissement, dont les caractères apoptotiques des kératocytes seraient la manifestation parallèle. L’incidence de l'association avec des prédispositions allergiques très fréquentes chez les patients porteurs de kératocône nous avait mis sur la voie d'une possible induction de ces transformations des fonctions cellulaires du stroma cornéen. Elle n'est pas la seule et la répétition d'une agression épithéliale semblerait un autre facteur les stimulant. Le frottement excessif d'yeux irritables fut accusé. Le port des lentilles aussi, ce qui nous ramène précisément au sujet de rapport.
C'est une question bien ancienne qui voulait voir dans ce traitement privilégié du kératocône un possible agent aggravant de ce dernier. La littérature semble avoir démontré que l'amincissement observé chez les porteurs de lentilles de contact restait très inférieur à celui que déterminait le kératocône et que la part que la lentille pouvait prendre en la formation de celui-ci chez un porteur kératoconique restait négligeable; aucune diminution du nombre des kératocytes, par rapport au sujet normal, n'est par ailleurs observée dans le stroma des porteurs de lentille de contact à la différence de ce qui est observé dans le kératocône chez lequel cette population est fortement amoindrie. Aussi peut-on revenir allégrement à ces lentilles de contact dont on peut dire qu'elles ont été, qu'elles sont et qu'elles seront toujours l'alternative thérapeutique essentielle et la moins risquée du kératocône. Du moins chez ceux qui la tolèrent et jusqu'au moment où la déformation conique en permette une adaptation stable et fonctionnellement efficace.
C'est tout le mérite de ce rapport de démontrer la part essentielle que l'adaptation réserve dans le traitement du kératocône. Il n'est pas de mariage plus fréquent et salutaire entre la cornée et la lentille que dans le kératocône mais à condition qu'on en sache organiser le contrat ce qui demande expérience, habileté, obstination ainsi que compétence dans le choix des matériaux et du dessin des lentilles. Combien de fois, confronté à d’apparentes intolérances et peu soucieux d'engager un acte chirurgical n'ai-je pas insisté pour qu'on reprenne un essai de lentille et avoir ainsi gagné quelques années supplémentaires avant que ne s'impose une kératoplastie! Aussi m'est-il offert présentement de remercier toutes celles et tous ceux qui m'ont aidé dans ces cas difficiles et de rendre hommage à Florence Malet d'avoir bien voulu présider à l'écriture de ce rapport dont le bénéfice s'inscrira à l'évidence au profit de tous nos patients porteurs de kératocône et dont nous connaissons l'habituelle inquiétude que leur confère ce statut particulier de leur cornée. Qu'elle en accepte nos très amicaux remerciements ainsi que tous ceux, nombreux à ses côtés, qui ont contribué à la rédaction de ce beau rapport retenu judicieusement par la Société Française des Ophtalmologistes Adaptateurs de Lentilles de Contact.
Yves POULIOUEN de l'Académie Française
Et en plus, qu'est-ce qu'il écrit bien!
avec d'autres lentilles 