Voici le courrier de Jacqueline (Monsieur, c'est Vincent...). A la main hein? Au stylo et pages recto-verso...
Monsieur,
Suite à mon appel téléphonique de début juillet concernant l’association Kératocône citée dans la revue Revoir, je réponds bien volontiers à votre demande de quelques détails sur la greffe de cornée, faite avec succès vers octobre 1958 par le Dr Pierre-Victor Morax (Président de la BFY, responsable du service de l’hôpital St Antoine à Paris), dont a pu bénéficier ma maman Jeanne (née le 24 mai 1887) alors agée de 72 ans – puis décédée en 1979 agée de 92 ans … Une véritable aventure.
En 1912, ouvrière fleuriste chez Dallé, rue Georges Bizet à Paris, un couple commande une composition florale pour le Bd Raspail. Le Monsieur regarde ses yeux avec insistance : « Oh le beau Kératocône ! ». Stupéfaction de ma mère résignée à ne pas voir clair depuis l’âge de 18 ans, âge auquel elle avait découvert par hasard cette défaillance. Rendez-vous fut pris à l’hôpital Lariboisière dans le service du Dr Victor Morax : « Madame, ne vous faites jamais opérer, le remède serait pire que le mal!!! ».
Les années ont passé avec 2/10ème d’acuité visuelle et le comportement instinctif d’une personne presque aveugle, maladie prétendue peu courante et surtout non détectée.
Je suis née en 1925. Inquiète pour mon avenir, elle a consulté et a appris après la guerre de 39-45 que le Dr Victor Morax avait un fils médecin qui continuait les recherches de son père (Dr Pierre-Victor Morax, 14 avenue Pierre Ier de Serbie). Il est apparu que le Kératocône ne semblait pas héréditaire. Surveillance régulière, lentilles de contact chez le Dr Dudrague, difficilement supportables, fissures de la cornée traitée par « Malévite 42 »… jusqu’au jour, vers 1958, où le Dr Pierre Morax lui dit : « Madame M..., ça y est, nous pouvons vous opérer pour une greffe ». Réponse de ma mère : « Ca jamais ! Votre papa m’a dit de ne jamais me faire opérer ! ».
Protestation du Dr Pierre Morax convaincu du risque minimum sur un œil déjà perdu (60% de chances de réussite).
Sa grande confiance et des arguments logiques ont obtenu sa décision. Tout a été très vite, dès l’obtention du greffon. Opération le 7 octobre 1957 ou 1958, clinique des Dames Augustines à Neuilly avec l’assistance du Dr Amar (même le dimanche, le Dr Morax lui rendait visite avec sa petite fille Anne-Caroline, agée de 6 ans… devenue je crois anesthésiste). Une aventure épique, longue période la tête bloquée entre deux sacs de sable, puis, je crois, 2 mois et ½ après, découverte progressive d’une vision retrouvée. Sa première réflexion : « Les gens sont laids ! ». Puis ce fût le parcours du combattant pour des contrôles à l’hôpital St Antoine avec menaces de rejet du greffon etc… Pendant des années, il a tenu le greffon, mais on a découvert une cataracte opérée à St Antoine par le Dr Pierre-Victor Morax (alors 8 rue Louis David) presque à la retraite.
Je me souviens que le fils Auffret était chez Morax à St Antoine et le fils Morax chez Auffret à l’Hotel Dieu. Je pense que c’est lui qui est responsable du service Rotchild rue Manin.
Une longue histoire bien mal racontée mais authentique.
Aujourd’hui moi-même agée de 80 ans, myope mais lisant sans lunettes ! que puis-je faire pour vous ? Une analyse de sang pour savoir si je traîne ce fameux gêne ?
Oui, la recherche avance… les témoignages vivants disparaissent.
Alors dépéchez-vous… il faut absolument ne pas oublier le Professeur Pierre-Victor Morax et aussi les Professeurs Barraquer en Espagne, Auffret, Pouliquen à Lyon et bien d’autres qui méritent un hommage particulier.
Continuez la lutte avec courage pour Madame votre épouse et vos chers adhérents…
Et toute ma sympathie.
Jacqueline... (80 ans, Le Plessis-Bouchard)
Pr Morax / Institut Pasteur 1928
