Difficile d'en parler

[superinfirmier]

Bonjour, a tous,

Comme vous avez pu le lire dans l'un de mes précèdent post je me suis fais greffer de la cornée droite il y a 2 semaines maintenant. L'opération s'est bien passée, et les suites sont plutôt encourageantes.

Mais voilà, je suis retrouvé face à un énorme problème existentiel, j'ai eu énormément de mal à accepter ma greffe, au point de me refermer sur moi même. Ma compagne m'a beaucoup soutenu durant tout le parcours avant et après la greffe, se montrant très présente et très patiente, mais sans son intervention il y a quelques jours je pense que je serais encore muré dans le silence qui était devenu le mien. J'étais incapable d'exprimer ce mal être même à la personne qui m'est la plus chère, je n'arrivais pas à accepter mon nouvel état, de porter une part d'un autre, j'en suis venu à me poser des dizaines de questions; qui était il)elle, que lui est il arrivé, quelle pouvait être sa vie, ... J'en suis venu à me sentir coupable et ne plus vraiment savoir quoi faire, j'ai essayé d'oublier, de masquer, de minimiser, mais chaque fois que je passe devant un miroir, que mon œil me lance ca recommence.

Je voulais donc savoir si d'autres parmi vous on connu ce genre de situation, comment avez vous fait pour la surmonter, si vous connaissez des assoc qui pourrait m'aider à mieux comprendre et accepter ce sentiment?

Merci à tous

[Bruce Robertson]

Bonjour

C'est vrai. C'est un choc de porter une partie du corps d'autrui, surtout quand on pense que la personne en question a dû mourir pour que l'on puisse bénéficier de sa cornée. J'ai été greffé il y a 5 semaines et si je pense souvent à la personne qui m'a offert sa cornée, j'ai de la chance car je ne m'en rends pas malade. Objectivement, tu n'as pas à te sentir coupable - et tu le sais bien - car tu n'y es pour rien dans le décès de ton donneur. Mais subjectivement, c'est peut-être autre chose et on a beau raisonner et rationaliser, on peut se sentir prisonnier de sentiments irrationnels.

Qui sait ? Ces sentiments s'estomperont peut-être à mesure que le temps passe et que tu récupères de ce choc qu'est la greffe.

A ta place, j'en parlerais à un médecin ou thérapeute qui pourrait peut-être te soulager. Mais c'est déjà très bien que tu en parles sur le forum !

Qu'en pensent les autres ?

[Florence BERGER]

La même chose que toi, Bruce.

Personnellement, je n'ai pas fait cette expérience mais j'imagine ce que cela peut être. On en revient toujours aux mêmes questions existentielles : où vais-je, où cours-je, dans quel état j'erre ... ?

Le "je" étant une acception générale bien sûr.

Sérieusement, si vous avez une réponse, je suis preneuse.

[Sylvie C.]

Bonsoir,

Je comprends totalement ce que tu ressens et c'est déjà un grand pas que tu viens de franchir en osant en parler sur le forum.

J'ai également reçu 3 dons de cornées et je suis passée par la phase difficile que tu traverses actuellement dès la première greffe puis de manière croissante jusqu'à la troisième.
Lorsque j'étais en attente de greffe, j'avais le sentiment de devoir mon salut au décés d'une personne et donc en quelque sorte d'espérer la disparition de cet(te) inconnu(e)... Cela reste toujours difficile pour moi de poser de tels mots sur cette expérience humaine unique.

En réalité, tu t'apercevras que tu dois la vue non pas au décés d'une personne, mais à la générosité extrême de cette personne et de sa famille. Ton mal être (voire ton sentiment de culpabilité) se transformera avec le temps en reconnaissance absolue, et ta propre générosité sera à son tour démultipliée envers les autres. Tu n'oublieras jamais, et peut-être que comme moi tu penseras à ta greffe et à ton donneur à chaque fois que tu te regarderas dans un miroir. Sans jamais oublier, tu intégreras au plus profond de toi le geste de générosité de ton donneur, et tu profiteras de la vie doublement pour être à la hauteur de ce don unique.

Si tu en ressens le besoin, n'hésite pas à en parler à un médecin ou à un thérapeute. Cela pourra certainement t'aider. Et ton épouse est là, ce n'est pas rien. Je suis certaine que c'est également difficile pour elle.

Tiens-nous au courant des résultats de ta greffe.
Bon courage, la phase la plus dure est derrière toi.

[Florence BERGER]

Très beau mail. Merci Sylvie. je ne suis pas concernée mais le serai peut-être un jour. C'est de cette manière que j'aborderais la question a priori mais on ne sait jamais comment je réagirais a posteriori.